Interview Coralie Winka

Interview Coralie Winka

21 novembre 2020 0 Par rachel

Interview réalisé dans le cadre de la journée « Carte Blanche » sur mon groupe Facebook « Evasion par les mots », le lundi 20 juillet.

Bonjour et un grand merci à Rachel de me laisser carte blanche aujourd’hui.

Histoire de bien commencer la journée, rien de tel qu’un bon petit déjeuner pour me délier la langue (ou m’assouplir les doigts sur le clavier) et j’espère la vôtre aussi. En tant qu’expatriée en Allemagne, un vrai croissant, le croissant français quoi, c’est sacré, et je me réjouis de pouvoir bientôt en manger sur place pendant les vacances 😍. Vous l’avez compris, en dehors de l’écriture, je suis une épicurienne. D’ailleurs, les allusions à la bonne chère ne manquent pas dans mes romans. J’aime beaucoup les spécialités régionales, culinaires bien sûr, mais aussi linguistiques, car ce sont elles qui nous définissent et font notre identité. Elles apportent un petit côté personnel et unique dans un monde de plus en plus formaté et sont pour moi une vraie bouffée d’air frais. Vous ne me verrez jamais prendre un café au Starbuck du coin par exemple, ça on trouve le même partout dans le monde, que ce soit en France, en Allemagne ou aux États-Unis. Je préfère de loin le café viennois style Art déco dont l’atmosphère m’inspire beaucoup plus et me permet de m’évader. Bref, après un parcours comme le mien, je reste très attachée à mes racines « chti », tout en appréciant la diversité qu’ont pu m’apporter mes passages en Alsace, en Finlande ou en Allemagne. Je suis une Européenne des régions.

Présentation :

  • Qui est Coralie Winka?

Je suis originaire du Douai dans le nord où j’ai vécu jusqu’à mes 18 ans. Après un Bac littéraire, je ne voulais pas faire les choses à moitié : je n’ai rien trouvé de mieux que de quitter les miens pour m’aventurer à Strasbourg et y faire mes études d’Allemand. Je me disais «tant qu’à étudier l’allemand, autant avoir la possibilité de traverser le Rhin pour avoir le côté « pratique » de la chose ». Vous voyez déjà ma logique de l’époque 😉 . Bien sûr, à 500 km de ma famille, tout ne s’est bien sûr pas passé comme la naïve que j’étais se l’imaginait, ce qui ne m’a pourtant pas empêché de vivre des moments intenses et de faire des rencontres inoubliables. En fin de compte, après un stage comme fille au pair de l’autre côté du Rhin et un semestre en Finlande, je suis finalement revenue en Alsace pour faire un BTS transport et logistique. Après quelques expériences dans le service export de diverses entreprises près de Stuttgart en Allemagne où je vis encore aujourd’hui, je me suis mariée et j’ai eu mes trois enfants.

 

  • Tes passions ? Ce que tu aimes faire ? Ton péché mignon ?

D’après ce que j’ai pu voir, la pâtisserie serait un de tes talents. Maîtrises-tu plus les spécialités allemandes ou toutes celles qui te mettent l’eau à la bouche ? 😉

Mes passions sont bien sûr la lecture, l’écriture, les balades dans la nature, découvrir d’autres cultures, les voyages, les activités culturelles, la gastronomie. Mon péché mignon, ce sont les pâtisseries en tous genres. Effectivement, je me suis fait une réputation sur ma page Facebook en publiant régulièrement des photos de mes créations. C’est vrai qu’en termes de pâtisserie, j’ai tendance à préparer plutôt des gâteaux allemands et autrichiens, mais je n’ai rien contre une charlotte aux fraises ou des éclairs au café. Vous l’avez compris, je suis une grosse gourmande :).

 

  • Depuis quel âge écris-tu ? Comment t’est apparue l’envie d’écrire ?

J’écris « réellement » depuis avril 2016, mais l’idée d’une histoire d’amour interdite entre un soldat allemand et une Française pendant l’occupation allemande date de mes années lycée pendant lesquelles j’avais rédigé quelques pages dans un cahier longtemps oublié par la suite. L’idée m’est venue en voyant un article dans le journal local sur une femme que je connaissais près de chez moi qui s’est mise à l’écriture. Je me suis alors dit: « pourquoi pas moi? »

 

  • Peux-tu nous résumer ton parcours d’auteur ?

J’ai commencé à écrire « Le lieutenant et la dame blanche » en avril 2016. En octobre 2017 j’y mettais le point final et en janvier 2018 j’apprenais qu’il serait publié un an plus tard (avril 2019) chez Gloriana Editions. Après un sujet si lourd et exigeant beaucoup de recherches, j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à écrire une romance de Noël qui se passe en Autriche : « Rencontre sous les flocons » qui est sortie en novembre 2019. « Le messager du Habsbourg » qui paraîtra en fin d’année est un nouveau roman historique qui évoque l’union de Marie de Bourgogne et de Maximilien Ier d’Autriche en 1477. Actuellement, je travaille sur un autre historique qui me tient particulièrement à cœur, car il évoque en partie l’histoire de ma famille. Il retrace l’histoire d’une famille d’immigrés polonais dans la région de la Ruhr des années 1920, puis dans le bassin minier du nord de la France jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

 

  • Comment te vois-tu dans 10 ans ?

Ça ferait prétentieux si je réponds célèbre et traduite dans toutes les langues 🤣 ?

 

  • Sur le plan professionnel, es-tu un auteur à plein temps ou exerces-tu une autre profession ?

Depuis la naissance de mes enfants, je suis à la maison, car le système social allemand ne vaut pas le français en termes de politique familiale (école maternelle payante, pas d’école l’après-midi, pas de cantine, etc.). Je travaille à temps partiel à la bibliothèque de l’école de mon village une matinée par semaine sinon on peut plus ou moins dire que je suis auteure à plein temps.


Lecture :

  • Es-tu un grand lecteur ?

Je pense pouvoir répondre par oui à cette question. J’ai toujours aimé lire, mais depuis que j’écris, je lis encore plus.

 

  • Quels romans aimes-tu lire ? Qui trouve-t-on dans ta bibliothèque ?

J’aime beaucoup les romans/romances historiques et les romans de terroir historiques. Sinon, j’aime de temps en temps lire des classiques, des romans feel-good, des romances contemporaines.

Dans ma bibliothèque « physique » on trouve beaucoup de documentation en français et en allemand sur la seconde guerre mondiale, des romans de Marie-Paul Armand, des classiques. Dans ma bibliothèque numérique on trouve essentiellement des romans/romances historiques de Gloriana Editions, de SEE, des auto-édités et des classiques en allemand.

 

  • Quels sont les livres qui t’ont façonné ?

J’ai été élevée à coups de Juliette Benzoni et Anne et Serge Golon, j’ai eu une phase Barbara Cartland puis plus tard je me suis intéressée aux conflits et évènements politiques contemporains (Première/Seconde guerre mondiale, Bosnie… J’ai même lu « Le livre noir du communisme » 🙂 )

 

  • Quel est ton dernier livre coup de cœur ?

Mon dernier livre coup de cœur est l’échange épistolaire entre Sophie Scholl et son ami Fritz Hartnagel « Damit wir uns nicht verlieren – Briefwechsel 1937-1943»

 

  • Quel est le dernier livre que tu as lu ?

Le dernier livre que j’ai lu est « La soeur maudite – tome 4 du destin des coeurs perdus » de Jc Staignier (terminé hier)

 

  • Quel auteur aimerais-tu absolument rencontrer ?

J’aurais aimé rencontrer Ernst Jünger s’il était encore de ce monde. Sinon, j’ai bien l’intention de rencontrer un jour Marie Lerouge dans n’importe quelle ville d’Europe centrale autour d’une tasse de café et d’un bon gâteau autrichien 🙂

On reconnaît l’épicurienne ds ta réponse 😉

Ben oui, on ne se refait pas 😉


Tes livres, ton écriture :

  • Le Lieutenant et la Dame Blanche est-il ton premier roman publié ?

Oui, Le lieutenant et la dame blanche est mon premier roman publié.

 

  • Essaies-tu de faire passer des messages dans tes livres ?

Au fond, je pense que chaque auteur veut faire passer un message. Dans Le lieutenant et la dame blanche, je tenais à confronter des préjugés qui ont aujourd’hui encore la vie dure dès qu’il est question de l’occupation allemande, comme par exemple le fait que tous les Allemands n’étaient pas nazis. D’après de nombreux retours de lecture je pense y être parvenue.

Dans « Rencontre sous les flocons », j’étais dans une tout autre optique. Je voulais mettre sur papier les souvenirs d’un coup de cœur que j’ai réellement eu lors d’un séjour en Autriche l’année de mon Bac.

Dans un de mes projets actuels, j’aborde l’histoire de ma famille et c’est un peu un moyen de garder une trace pour les générations futures.

 

  • La culture allemande t’a-t-elle toujours intéressée ? Et est-ce pour cela qu’on la retrouve dans tes romans ?

Rachel, on ne peut vraiment rien te cacher 🙂 . Oui, la culture allemande m’a toujours intéressée. D’abord pour des raisons familiales : mes arrière-grands-parents étaient polonais et se sont installés dans le nord de la France durant les années 1920 après un passage par les mines de la Ruhr où mon grand-père paternel est né. Enfant, mon père passait ses vacances dans cette région chez une « grande » cousine, plus tard, il a fait son service militaire à Constance et me parlait donc régulièrement de l’Allemagne. Quand j’ai moi-même appris l’allemand, c’était terminé, plus rien ne pouvait me retenir ! C’est donc tout naturellement que j’introduis des éléments germaniques dans mes récits. C’est un peu ma « marque », et par ailleurs, j’aime bien aborder des choses qui vont un peu à contre-courant et anti effet de mode.

 

  • Comment se déroule une journée d’écriture pour toi ?

Chaque journée d’écriture peut être différente dans la mesure où certains jours, je remarque tout de suite que la concentration n’est pas au rendez-vous. Dans ces cas là, je n’insiste pas, je fais autre chose, comme publier des extraits sur les réseaux sociaux, faire des recherches, relire/recorriger un texte (ou faire des gâteaux 😉). J’aime bien me balader avant de me mettre à écrire, en général, je suis beaucoup plus productive par la suite.

 

  • Où écris-tu en général ?

Je suis un écrivain nomade. Pendant longtemps, j’ai écrit à la table de la salle à manger quand ma famille n’était pas présente. Maintenant, ça varie selon la température : le bureau ou le jardin quand il fait beau.



  • Qu’est-ce qui t’inspire ? (histoire, nom des personnages, leur caractère…)

Plein de choses m’inspirent. Ça peut être les arbres en fleurs autour de chez moi, du vécu, des gens que j’observe dans la rue, un film, une lecture, un rêve, un voyage, un fantasme…

Pour Le lieutenant et la dame blanche, j’étais frustrée en tant que lectrice de ne pas trouver une réelle histoire d’amour qui se termine bien tout en trouvant un certain équilibre entre la « romance » et l’aspect historique.

Pour trouver des prénoms, c’est très pragmatique: en fonction de la nationalité du protagoniste, je cherche parmi les prénoms les plus courants correspondant à son année de naissance. Angélique est mon deuxième prénom et mon grand-père était amoureux d’une Angélique. Je décris souvent les personnages masculins selon mon idéal . Avis aux amateurs 😂

 

  • Quel est le personnage que tu préfères dans ton livre, pour quelle raison ?

Sans hésiter Ulrich von Brackenstein, l’officier allemand du Lieutenant et la dame blanche, car je l’ai façonné de manière à ce qu’il représente mon idéal masculin, physiquement et mentalement. D’ailleurs, j’avoue avoir un faible pour l’uniforme vert-de-gris (je sais, c’est délicat à dire mais c’est comme ça-fantasme de femme quoi 🙂 ).

 

  • Travailles-tu sur d’autres projets ?

Oui, « Le messager du Habsbourg » un roman historique médiéval paraîtra en automne et je travaille actuellement sur « Le chant de la mésange charbonnière », l’histoire d’immigrés polonais de 1922 à 1945. Il me reste la dernière partie à achever et la fin à déterminer.


Divers :

  • Prévois-tu d’organiser des rencontres avec tes lecteurs (SDL, dédicaces dans d’autres lieux publics…) lorsque l’actualité le permettra ?

J’avais prévu d’être à Mons Livre en Belgique en novembre, mais cela ne sera malheureusement pas possible. Pour le reste, il faudra attendre de voir comment va évoluer la situation.



  • Une anecdote ? Un dernier mot pour tes lecteurs ?

J’ai déjà raconté quelques anecdotes au cours de la journée. Je ne peux bien sûr pas terminer sans vous montrer pourquoi ma réputation de pâtissière m’a précédée. Si ça ne pose pas de souci, j’aimerais encore publier un extrait de mon prochain roman à paraître et un de celui en cours d’écriture.

***

Chose promise, chose due. En plus, c’est l’heure du café. Qui sait? Si je ne deviens pas célèbre en tant qu’auteure, j’ouvrirai peut-être un jour un salon de thé où l’on peut manger des gâteaux.

Tu as appris seule, via livres, internet ou tu as pu profiter de l’expérience d’autres personnes de ton entourage ?

Grâce à un excellent livre de recettes des « Landfrauen » 🙂


*** Extrait 1– Le lieutenant et la dame blanche ***

Tandis qu’il retournait vers la caserne en empruntant le chemin au nord du Portel, il fut surpris par des bruits de moteurs s’approchant dangereusement. Il plissa les yeux pour regarder vers le ciel et reconnut des dizaines de bombardiers survolant déjà Boulogne-sur-Mer. Il venait de quitter ce qui, hier encore, constituait la dernière rue du village avant les champs et pressa le pas. Des Portelois, effrayés par une nouvelle menace aérienne et complètement traumatisés, s’enfuirent à travers champs. Une femme s’écria « Je vais devenir folle si je reste une minute de plus ici ! ». Les malheureux couraient dans tous les sens sans savoir exactement où aller. Le sol trembla à plusieurs reprises lorsque des bombes furent lancées sur Boulogne. Remarquant que les bombardiers reprenaient la même trajectoire que la nuit précédente, Ulrich se mit également à courir en direction des champs. C’est à ce moment-là que les projectiles commencèrent à être lâchés sur le Portel pour la troisième fois en douze heures. Plusieurs torpilles explosèrent à quelques dizaines de mètres de lui. Envahi par une peur instinctive, il courut de plus en plus vite. Essayant en vain de trouver un abri. Il n’entendait plus le vacarme autour de lui. Ne ressentait même plus les tremblements lorsque les explosifs touchaient le sol. Il était dans un état second. Ne pensait plus. Ses gestes étaient les réflexes primitifs d’une proie traquée. Une bombe projeta deux soldats allemands et un homme en civil au sol à vingt mètres de lui. La Volkswagen « bassine » qui était sans doute la cible des Anglais n’avait pas été atteinte. Il s’approcha des victimes. Le civil, un jeune homme grand et fort avait été tué sur le coup, de même qu’un des soldats. Il leur ferma les yeux. Le seul survivant, blessé au front lui tendit une main dont il s’empara. Le pouls du blessé s’accéléra. Il murmura des paroles incompréhensibles. Ulrich crut juste entendre un nom.

Hilde.

Le nom d’une femme. Un filet de sang coula de la bouche du jeune soldat. Sa respiration s’arrêta. La pression de sa main se relâcha puis les traits de son visage se détendirent. Encore une fois, Ulrich passa la main sur un visage pour en fermer les paupières.

Lorsqu’il se releva, sa main toucha la dame blanche à travers la poche de son uniforme.

Le moment était venu.

Un coup d’œil circulaire lui permit de constater que personne ne pouvait le voir. Mu par une impulsion, une sorte de réflexe inconscient, il ôta son uniforme en prenant soin d’en vider les poches. Il glissa la petite boîte en bois contenant la dame blanche, la photo d’Angélique ainsi que la balancelle du carrousel dans la poche de son pantalon. Il jeta sa veste sur le corps du jeune civil et lui enfila sa plaque d’identité militaire autour du cou. L’homme était à peu près du même âge que lui et avait sa taille. Il enleva rapidement ses bottes pour les échanger contre les chaussures du civil qui, hormis son pantalon, ressemblait à présent à un officier de la Wehrmacht. Le temps de nouer les lacets, il se redressa. Déterminé. Les bombardiers qui s’étaient concentrés sur le Portel effectuèrent une boucle pour revenir dans sa direction. Il courut pour essayer d’atteindre un petit bois au bout du champ. Les avions continuaient de déverser sans répit leurs munitions sur le village. Une explosion plus proche le fit se retourner pendant sa course. Cette fois la voiture près des trois cadavres qu’il venait de laisser derrière lui avait été touchée. L’explosion du réservoir d’essence provoqua un début d’incendie. L’engin s’embrasa en même temps que les corps des trois hommes qui gisaient à ses côtés. Il ne remarqua pas la bombe qui éclata à quelques mètres de lui et le projeta au sol. »



Crédit photo : Unsere Patine / Batterie du Holdy

https://www.facebook.com/search/top?q=unsere%20patine

https://www.facebook.com/pages/Batterie%20Du%20Holdy/472868686078533/



*** Extrait 2 – Le lieutenant et la dame blanche ***

 

Voici un autre plus « romance ».

 

Ils restèrent un moment attablés, puis dansèrent encore quelques valses avant de se retirer. D’autres invités quittèrent également le restaurant quand la musique s’interrompit. Angélique suivit Ulrich à l’étage de l’auberge. À l’aide de sa clé, il ouvrit la porte de la chambre numéro 4. En entrant, le regard d’Angélique se posa immédiatement sur le lit double au milieu de la pièce. Elle fut subitement incapable de faire le moindre mouvement, pressant nerveusement son sac entre ses mains. Ulrich ferma la porte, posa la clé sur une petite table, accrocha calmement son manteau. Lorsqu’il se tourna vers elle pour l’aider à enlever le sien, il décela son angoisse.

Quelque chose ne va pas ? s’inquiéta-t-il.

Ulrich… Cette soirée était vraiment formidable, mais… je ne peux pas.. bredouilla-t-elle, réellement navrée.

Mais tu ne peux pas quoi ? lui demanda-t-il gentiment.

Ben tout ça…

Elle désigna la chambre. Le lit.

Passer la nuit avec toi…

Bouleversée, elle osa enfin le regarder. Elle baissa pourtant rapidement les yeux. Il l’étreignit. Commença à la bercer.

Il ne se passera dans cette chambre que ce que tu veux bien qu’il se passe.

De l’index, il lui avait soulevé le menton pour qu’elle le regarde. Ses yeux exprimaient une infinie douceur. Il lui embrassa le front et ajouta, un sourire espiègle aux lèvres :

Et puis je suis homme de parole. J’ai fait la promesse à ta grand-mère d’avoir un comportement irréprochable avec toi si tu m’accompagnais le jour du réveillon !

Elle se détendit un peu. Il l’aida enfin à enlever son manteau. Elle posa son sac sur une chaise et prit note de l’aménagement de la chambre plutôt modeste. En dehors du lit et de la petite table, il n’y avait que deux chaises, deux tapis et deux tables de nuit. La pièce mansardée était assez exiguë, mais propre et chaleureuse. Des poutres apparentes contrastaient avec les murs blancs. Ulrich soupira d’aise en enlevant sa veste sous laquelle il portait des bretelles et une chemise blanche dont il déboutonna les trois boutons du haut.

Es-tu fatiguée ? lui demanda-t-il.

À vrai dire, non. Juste un peu grisée par l’alcool.

Elle l’observa. Le reconnaissant à peine sans son uniforme. Il fit un pas dans sa direction, plongea son regard dans le sien avant de l’enlacer.

Merci pour cette merveilleuse soirée… murmura-t-il à son oreille. Le moustachu avait bien raison, je préfère mille fois la valse française à la viennoise ! Elle permet d’être beaucoup plus proche de la femme qu’on aime.

À ces mots, elle se crispa. Il dégagea une mèche de ses cheveux. Baisa sa tempe. Descendit le long de sa joue pour atteindre enfin ses lèvres. Leur baiser devint rapidement passionné quand il la pressa contre lui. Elle posa une main dans son cou, l’autre dans son dos. Quand il s’éloigna juste un peu, ce fut elle cette fois, qui s’empara de ses lèvres. Elle ne voulait à aucun prix qu’il cesse de l’embrasser. En guise de réponse, il resserra son étreinte et répondit à son baiser avec fougue. Ses mains parcoururent son dos, ses épaules, sa gorge. Continuèrent leur périple avant de se figer. Soudain, il recula, se passant une main sur la figure, comme pour mettre un frein à ses ardeurs.

*** Extrait – Rencontre sous les flocons ***

J’ai choisi exprès un extrait où la valeur gastronomique prend toute sa dimension 🙂

L’ambiance sur la grande place bondée de monde ce soir n’avait absolument plus rien à voir avec celle du matin. Tous les stands devant lesquels des groupes de visiteurs se pressaient étaient désormais ouverts. Des branches de conifères suspendues de-ci de-là apportaient un aspect forestier aux chalets affichant leur nom sur des pancartes en bois aux gravures élégantes. Des centaines de guirlandes de lampes alignées diffusaient un éclairage romantique, presque hors du temps. Les édifices attenants n’étaient pas en reste. La réverbération soulignait toute leur splendeur.

Dans la cohue, Dragan s’approcha de moi et en profita pour glisser sa main dans la mienne, en me gratifiant d’un sourire complice. Je m’arrêtai devant un chalet aux décorations de l’Avent plus ravissantes les unes que les autres. Petits sapins de verre ornementés de guirlandes filigranes étincelantes. Porte-bougies à motifs hivernaux transparents. Étoiles, anges à accrocher au sapin de Noël. Je ne savais plus où poser mes yeux éblouis par tant de merveilles artisanales. Au stand voisin se côtoyaient des sculptures en bois pour le sapin, pour la maison, ou encore le jardin. Il y en avait pour tous les goûts, des rennes du Père Noël sculptés aux troncs décorés en lutins. Plus loin, une odeur de vin chaud et de gaufres me rappela que les Kaiserschmarrn dataient déjà de plusieurs heures…

Si j’en crois tes mains si froides, il te faut un petit remontant ! décréta soudain Dragan.

Joignant le geste à la parole, il se faufila parmi la foule pour accéder au stand d’où provenait le mélange de senteurs.

— Alors, vin chaud ou punch pour enfants ? cria-t-il à mon attention.

Face à son air railleur, je répondis spontanément « vin chaud ». Je ne voulais en aucun cas qu’il me considère comme une enfant ! Je l’attendis en occupant une des tables hautes sans chaises un peu en retrait. Quand il me rejoignit, deux tasses à la main, j’eus tout le loisir de l’examiner. Il me fixait de ce regard ténébreux qui avait le don de me faire perdre mes moyens. Je renonçai à l’envie de regarder autour de moi pour voir si c’était bien à moi qu’il le destinait.

Et voilà, tu vas voir, ça va te réchauffer, précisa-t-il en posant une tasse en porcelaine fumante devant moi.

Merci.

Je posai les mains sur la tasse à l’effigie du marché de Noël salzbourgeois, décorée de flocons de neige et de sapins blancs, percevant du bout des doigts la chaleur bienfaisante qui s’en dégageait. Enfin, je la saisis et en humai le contenu. Notes épicées d’agrumes, de cannelle. De clou de girofle. Je portai la tasse à mes lèvres et bus une gorgée du liquide brûlant et sucré. À vrai dire, je fus un peu étonnée de ne pas remarquer l’alcool, mais n’osai demander à Dragan si en fin de compte il m’avait commandé du punch pour enfant. Je n’avais aucun moyen de comparaison du fait que je n’avais encore jamais bu de vin chaud.

 

*** Extrait – Le messager du Habsbourg ***

 

Hans à ses côtés, Clotilde galopait, cheveux au vent, le voile tombé en arrière, juste retenu par un nœud au niveau de la gorge. Le temps magnifique accentuait la sensation de liberté qu’elle ressentait pour la première fois depuis qu’elle s’était résignée à accepter la décision de son père à prendre Alessandro Bagiotto pour époux. La présence de Hans, qui s’adaptait à sa vitesse et l’accompagnait sans un mot, décuplait l’impression d’ivresse. Emportée par la cadence imposée à sa jument, elle était dans un état proche de la transe. Quelle merveilleuse parenthèse ! Les promenades à cheval avaient toujours eu cette capacité à lui faire oublier ses soucis. Elle avait découvert cette façon d’échapper à la dure réalité après la mort de sa mère, en compagnie de Marie. Elle entraîna Hans en empruntant le chemin en sens inverse. Lorsqu’ils accédèrent enfin à la clairière où Marie avait lâché Dionysos, elle indiqua à son compagnon qu’ils se situaient sur le terrain de chasse favori du Téméraire.

C’est donc ici que le Duc Charles a découvert son meilleur cheval? demanda Hans qui, resté en selle, avait approché sa monture de celle de Clotilde.

Elle acquiesça en souriant.

El Moro broutait tranquillement l’herbe. À ce qu’on raconte, à l’arrivée du duc, l’étalon a levé la tête et l’a regardé. Ils se sont fixés un long moment, puis le Téméraire a appelé l’animal qui a tout naturellement avancé vers lui, comme s’il l’avait toujours connu. La rencontre de deux âmes sœurs.

Les mèches en désordre et les joues rosies par la chevauchée, elle sourit timidement en évoquant cette rencontre hors du commun, entendue des dizaines de fois. Selon elle, l’anecdote rendait le défunt souverain plus humain.

Sait-on d’où venait le cheval ?

Hans la considérait avec un sourire mutin. Elle examina les traits bien proportionnés de son visage. La blancheur éclatante de ses dents détonnait avec son teint hâlé, habitué au grand air. Sa chemise indécemment moulante dessinait les muscles saillants de ses larges épaules.

Certains prétendent qu’il aurait appartenu à un sultan, mais nul ne sait comment il serait arrivé en Flandre.

Un sultan ?

Amusé, il la dévisagea. Son regard la mit dans tous ses états.

D’après sa morphologie, tout prêtait à penser qu’il s’agissait d’un pur-sang arabe. Le plus gracieux et le plus rapide de tous. Une bête magnifique. Seul le sultan de Grenade aurait été en possession d’un tel animal.

Il semble que cette rencontre inattendue gardera à jamais sa part de mystère…

Son sourire s’éteignit pour laisser place à une expression plus grave. Son cheval fit un écart en direction de Clotilde. Ils furent tout à coup si proches qu’ils se touchaient presque. Bouleversée par l’intimité qui les enveloppait, la jeune fille se détourna brusquement afin de se tenir à distance.

Venez, il est temps de rentrer, annonça-t-elle soudain d’une voix sèche.

Elle fit trotter sa jument avant de relancer sa course folle. Hans la rattrapa rapidement. À mi-chemin, ils s’accordèrent une pause au bord du ruisseau pour que leurs montures puissent s’abreuver et se reposer quelque peu. Tandis qu’elle s’apprêtait à mettre pied à terre, Hans la précéda et se précipita pour l’aider. Galant, il lui offrit son bras. Elle prit appui sur le garrot et se laissa glisser lorsqu’une paire de mains fortes lui enserra la taille. Coincée entre le cavalier et le cheval, elle pouvait sentir le souffle du jeune homme qui la tenait à présent contre lui. Troublée, elle se libéra avant de gagner le bord de l’eau. Le frémissement des feuilles d’arbres provoqué par une légère brise l’aida à retrouver ses esprits. Mais déjà, Hans l’avait rejointe et la pressait de lui faire face.

Que se passe-t-il, Clotilde ?

Lui aussi avait l’air bouleversé. La douleur qu’elle perçut en lui ajouta à son tourment.

Rien…

Machinalement, elle inclina la tête pour éviter qu’il ne vît ses larmes poindre. Il ne parut pas satisfait de sa réponse et la força à l’observer en l’attrapant par le bras.

Je vous en prie, ne vous détournez pas de moi…

La gorge de Clotilde se noua. Elle lui fit face, mais dans l’incapacité d’affronter son regard, garda les yeux clos. Au contact de sa main lui caressant la joue, elle se crispa et pressa les paupières encore plus fort.

Clotilde…

 

Pour terminer cette belle journée, je vous propose un dernier extrait tiré de mon manuscrit en cours. Il évoque le destin d’Ilona, fille d’immigrés polonais d’abord dans la région de la Ruhr des années 1920, puis dans le bassin minier du nord de la France jusque la Seconde guerre mondiale.

 

*** Extrait – Le chant de la mésange charbonnière ***



Le temps était relativement clément en ce mois d’octobre 1923. Les rayons du soleil faisaient ressortir l’éclat des feuilles des arbres, offrant un magnifique festival de couleurs aux habitants de Wiescherhöfen. C’était comme si la nature, dans toute sa splendeur et indifférente aux évènements politiques et monétaires du pays, trouvait un malin plaisir à les taquiner. Au moins ne fallait-il pas se soucier de chauffer les maisons en raison de la douceur digne d’une fin d’été. Après quelques semaines de grèves, les mineurs polonais, estimant que la résistance passive n’était pas leur combat, s’étaient décidés à reprendre le travail.

Par cette belle journée ensoleillée, Heinrich se rendait chez Ilona. Il emmena Marcin au passage, de qui il s’était rapproché depuis que Marek et Bronisława avaient quitté le pays. Les deux enfants poussaient une brouette. Lorsqu’ils arrivèrent à destination, Ilona sortait des piles de billets de banque de la maison avec l’aide de Lidia, la petite camarade de classe que Walter aimait persécuter.

Salut les filles ! s’exclamèrent Heinrich et Marcin.

Les deux garçons garèrent leur véhicule de transport le long du mur de briques rouges.

Salut ! Lidia et moi voulions justement commencer, répondit Ilona.

Elles déposèrent à même le sol en les alignant parallèlement, plusieurs liasses d’un million de marks leur ayant encore permis d’acheter du pain cet été et qui ne valaient à présent plus rien. La monnaie continuait de se dévaluer inlassablement. Elle venait de dépasser le seuil du milliard de marks contre un dollar américain au mois de septembre. Les enfants avaient convenu le matin même à l’école de rassembler leur « fortune » qui n’en était plus une. Ils regroupèrent des paquets de trente billets pour commencer à les empiler de façon à obtenir une pyramide. Lorsque leur construction atteignit un mètre de hauteur, le père et les frères d’Ilona, de retour de la mine se précipitèrent à la maison. Cela signifiait que la paye allait être livrée. Plus la quinzaine comme avant. Non. Le salaire journalier. Depuis l’hyperinflation, le revenu était versé quotidiennement en camionnette à cause de l’incroyable volume que représentait tout ce papier-monnaie perdant minute après minute, seconde après seconde, sa raison d’être.

Comme les enfants l’avaient deviné, le véhicule des mines se gara à peine un quart d’heure plus tard devant la maison. Stanislas s’empara alors de la charrette vide qu’il approcha de l’engin motorisé. Il aida le livreur à la remplir de gros sacs pleins de billets de banque.

Voilà. Si vous voulez bien certifier la réception, précisa le chauffeur en grande hâte, en lui tendant un crayon et un formulaire.

Stanislas apposa sa signature à côté de la case où figuraient son nom et celui de ses fils. La précipitation de l’employé était bien compréhensible. Entre la livraison de salaire du premier mineur et celle du dernier, il pouvait bien se passer deux heures. Deux heures pendant lesquelles tout cet argent trimbalé pouvait perdre la moitié de sa valeur de départ. Une éreintante course contre la montre. Pour le malchanceux qui le percevrait le plus tard, cela pouvait signifier qu’il ne pourrait éventuellement déjà plus rien s’acheter avec la paye fraîchement reçue, car les prix des produits étaient actualisés plusieurs fois par jour.

 

Pour suivre Coralie :

   

Partager c'est bien !